Ò MON PAÍS

Vote Ò MON PAÍS

La catégorie « Ò MON PAÍS » a été imaginée afin de rendre hommage à Pierre Soulages, à qui cette 16e édition est dédiée.

Pour cette catégorie spéciale, un thème a ainsi été imposé aux participants : créer “une ode à la Claude”.

L’œuvre qui recueillera le plus de votes lors de cette seconde phase dite "vote du public" sera désignée lauréate pour cette 16e édition.

Elle sera dévoilée lors de la cérémonie retransmise en direct le vendredi 23 juin à 19h00

Les oeuvres

Attrape

Une danse de tissus et de bras ;
Deux idiots : toi et moi.
J’entends encore ton rire
Résonner entre ces quatre murs,
Ne cessant de se resserrer
Sur nous.
Ou bien est-ce nous qui nous serrons
Écartant les murs ?
J’attrape tes mains avec une douce violence,
Je me jette à ton cou pour te faire chavirer,
Je te marche sur les pieds pour te faire céder.
Et tu es là, debout, inébranlable,
Tu mets tout hors de ma portée,
Tu rejettes mes bras…
Mais tes yeux me défient,
Et semblent dire : « Plus près. »
Alors je m’élance sur la pointe de mes pieds,
Ma poitrine percute la tienne,
Provoquant un coup de coeur qui résonne
Comme un tir d’arbalète.
Je te l’arrache en souriant
De ma victoire provisoire.
Je le serre contre mon sein,
Je tente de fuir, mais où ?
Tu passes tes mains autour de moi,

Je me débats, comme mon souffle,
Qu’a usé mon énergie.
Je ne vois plus rien, je te sens, c’est assez.
Mes gestes te repoussent, mon coeur crie
« Encore. »
Ton front contre ma nuque,
Ta main sur ma hanche,
Mes rêves sur tes lèvres.
Sont-ils si peu lourds que tu ne les as pas sentis ?
Tu me le reprends brutalement,
Je me retourne, tu ne souris plus.
Tu es beau.
Je crois que je vais te le dire.
Quel silence tout à coup !
Seuls mes cheveux défaits bruissent doucement
En retombant sur mon front,
Tandis que s’élancent nos respirations, qui se réclament.
J’entrouvre les lèvres…
Et tu me le relances en pleine figure.
Ton torchon.

Tes yeux restent une énigme
Là où mes souvenirs paissent,
Dans le pré où l’intraitable berger
Reste ton flegme.

Et moi, je rêve de le voir danser.

Through the dark
Jusqu’au dernier
La mer que contemplait Soulages à Sète

Bleu de masse obscure, illisible à l’abord
Ce plan monochrome où s’oublie le bord des toiles
Et les rouleaux une fois relâché d’un bord
Qui se tendent encore et courent vers l’étoile

Cette trainée de bleus façonne à l’oeil des bancs
Couches qui s’empilent et diversement denses
Sous un racloir des creux sont — que frottent les vents
À la sombre étendue en sillons de nuance

C’est là sous la frappe des rais le sens qui sourd
Ce simple faisceau que reflète le striage
Absorbé par les creux en un bleu-noir très sourd

Fait un éclat d’azur tout près des profondeurs
Un scintillement qui descend par les sillages
Révéler les clartés d’une noire splendeur

La colombe s’élevant vers l’espoir
Bénéfice du doute

Je l’entends cogner là-bas
Sans pourtant être à l’écoute
Quelques palpitations, par là
Puis tout ce qui en découle

Un silenci que fa mal
Paro un momento l’orella :
Tot buit i desesperant
Vol sortir-ne, d’aquella.

Il avait pourtant comme habitude
Une certaine discrétion
Presque une sagesse, certitude
Ne se montrait pas, sans inspiration

Innocent, trist i callat
Es quedà desprotegit ;
Potser agafar-li la mà
Potser els seus batecs sentir.

Mais là, il laisse tomber son voile
Révèle ce que tu n’as jamais lu
En lui ; reflète bien cette étoile
Le voilà presque à nu

Stop un instant ; tout s’arrête.
Fusion à l’heure, du coeur et du corps
Je les ai imaginés dans ma tête
On peut reprendre, alors

Maintenant qu’il est pauvre
Insensé, plus protégé, dévoilé
Ne lui reste plus que le bénéfice du doute
Et quelques instants à rêver

Sans aucun tissu, comme enfance
Te rêve trop sans issue
Et bat plus loin que Florence
Le voilà même à nu

Un so per aquí, un so per allà
Una lluor encesa, un mal apagat.
La teva veu se sent de sobte,
Ell s’il·lumina sense donar-se compte.

Puis il a entendu ta voix
L’a redécouverte, inhabituelle
Je sais que je ne devrais pas,
Mais je lui laisse le bénéfice du doute

Silence

Résumé :

Thomas évolue dans une ville tentaculaire, déshumanisée, cauchemardesque. Il prend
un train, lequel a l’apparence d’un frêle esquif de lumière au milieu des ténèbres glaciales du
tunnel. Perdu dans la marée humaine, il se demande s’il n’est pas plus facile de s’oublier que
de s’affirmer. Vingt-quatre heures se sont écoulées. Cette journée d’apparence ordinaire prend alors tout son sens : la beauté est là, à portée de main, l’espoir aussi.

Silence

Le silence. Ce silence, cet instant, très court, mais qui semble durer une éternité. Car
le silence s’étire. Ce n’est pas un point, c’est une ligne, une ligne dont on ne saura jamais où
est l’extrémité. Mais si l’on peut être sûr d’une chose, c’est que le silence, même alors que
l’on soit bruyant, il est toujours là, quelque part, autour de nous et il guette, il guette la
moindre faiblesse, pour venir et s’installer.
Puis il y a un bruissement, un infime bruissement dans le silence. C’est la première
note, la première d’une longue symphonie. La note s’est allumée en brisant cet instant
suspendu de silence. La note est longue, ténue, elle s’étire elle aussi vers l’infini car elle est
seule. Puis elle vrille, s’étire, tressaute et se transforme. Une mélodie prend forme, celle de la
vie. Puis la note est rejointe par une deuxième, et elles s’harmonisent, se désaccordent, jouent
toutes deux. Une troisième se mêle, et une quatrième, suivie d’une cinquième, et la musique
se complexifie ; des harmonies se forment, des accords se créent, des désaccords aussi, et
d’autres voix s’ajoutent à cette musique, dissonante certes, mais magnifique tout de même.
Certaines notes faiblissent, d’autres s’agitent, mais jamais le silence ne revient, et il ne faut
pas trop l’attendre car il ne va pas revenir avant de nombreuses heures. La musique
s’intensifie ensuite. Des crissements, des battements, des trilles, des coups sourds retentissent.
Tout se complète en une sublime harmonie. La ville s’éveille. Levons-nous, saluons le lever
du soleil.
Le jour se lève à peine ; mais déjà il est temps de partir. Le jour se lève à peine. Il
descend, mange, se lave, s’habille et sort. Les nuages sont encore teintés de l’orange du soleil.
A peine réveillé, il se mêle à la foule dense de la rue étroite. Il s’éloigne, entouré par la
multitude des hommes, si on peut encore les appeler ainsi. La maison se replonge dans le
silence. Comme celles d’à coté. Comme toutes celles du quartier.
Thomas avait toujours aimé regarder le lever du soleil. Chaque matin il montait sur le
toit pour admirer la ville encore à moitié endormie et sentir les premiers rayons du soleil
caresser sa peau en le réchauffant. Il pouvait y rester un long quart d’heure avant de devoir se
préparer. C’était bien le seul temps de repos qu’il pouvait s’accorder. Quelques minutes,
chaque matin, pour regarder l’horizon s’illuminer, le cercle éclatant du soleil monter
lentement depuis les nuages pour venir éclairer les immeubles gris et sombres. Ce matin donc,
comme chaque matin, une sonnerie tire Thomas de son sommeil. Comme chaque matin, à
peine réveillé, il saute du lit pour monter sur le toit. De ce toit, il regarde le lever du soleil. Il
faisait ça depuis longtemps, depuis plusieurs années, mais chaque matin le miracle se
reproduisait, le soleil se levait, toujours à l’heure, la sienne.
Souvent Thomas restait immobile, appuyé contre la vieille cheminée à regarder au
loin, il lui arrivait aussi parfois d’observer autour de lui les détails du quotidien qu’il notait
dans un petit carnet qu’il gardait toujours avec lui. Et le soir, il aimait relire ces moments
privilégiés, si brefs soient-ils. Mais Thomas ne restait jamais longtemps sur le toit. Très vite il
devait sortir de ses rêveries pour se préparer à partir. Alors il se levait, le plus lentement
possible, s’attardait encore un peu, mais il finissait toujours par redescendre. Il se demandait
souvent ce qu’il se serait passé si un jour il n’était pas descendu. Mais il valait mieux ne pas y
penser.
De retour dans la maison, il s’habillait, se lavait le visage à l’eau froide, la
consommation en eau étant réglementée. Il déjeunait en vitesse, souvent des galettes
lyophilisées accompagnées d’une pâte énergétique colorée. La pâte bleue était sa favorite,
celle au goût amer et qui colore la langue. Il buvait aussi, à même le récipient en carton, une
eau contrôlée qu’il savourait lentement en fermant les yeux. Puis il était temps de partir.
C’est l’heure. Il attrape ses affaires, fourre le tout dans un sac, met ses chaussures et
sort dans la rue. Dès qu’il ouvre la porte une odeur pestilentielle lui saute au visage et
s’engouffre dans la maison. L’odeur âcre de la fumée des poêles et des chaudières dans
lesquels on brûlait tout ce qui pouvait l’être. Le combustible venait à manquer. Au loin les
raffineries, fours et machines en tout genre des grandes usines de la ville. Le tout
s’entremêlait, acide, lourd, étouffant et piquant la gorge. Cette odeur s’infiltrait partout, se
mêlait aux relents de sueur et d’urine humaine. La rue elle-même était sale, les murs étaient
noirs et suintaient, tandis que la moisissure proliférait. Des tas d’ordures pourrissaient au pied
des façades, produisant un liquide qui se répandait sur le trottoir et collait aux semelles des
chaussures. Les maisons, souvent à plusieurs étages, menaçaient de s’effondrer, ce qui arrivait
d’ailleurs très fréquemment si bien qu’il n’était pas rare de voir une rue partiellement ou
totalement obstruée d’éboulis. Cela pouvait rester ainsi pendant plusieurs semaines. Puis, à la
place des gravats on construisait un autre immeuble qui, sa construction à peine terminée,
montrait déjà des signes de faiblesse. Ou bien il ne se passait rien et alors très vite
apparaissaient des constructions sommaires en tôle dans lesquelles s’installaient les plus
démunis.
En bref, la ville se désagrégeait, flétrissait, se décomposait petit à petit. Rien ni
personne ne pouvait l’en empêcher, et ce malgré les efforts mis en oeuvre. Rien n’y faisait. La
dislocation se poursuivait sans qu’on pût la ralentir, l’entraver ou encore plus improbable, la
stopper.
Il trouvait toujours cette routine répugnante et souvent il se demandait s’il allait ouvrir
à nouveau la porte. Mais chaque matin il le faisait avec régularité, sans jamais fléchir. Il
prenait une grande inspiration, ouvrait la porte et sortait. Sur le trottoir, il toussait un peu,
remontait son col, se couvrait le nez et se dirigeait vers la station la plus proche. Dans le ciel,
des nuages jaunes cachaient le soleil, les rayons filtraient au travers d’une fumée épaisse,
apportant plus d’ombre que de clarté. Thomas marchait alors d’un pas vif par peur d’être en
retard. En moins de dix minutes il arrivait dans le quartier de la gare et après avoir traversé la
rue, il s’engageait dans la gueule béante de la station.
Aujourd’hui il garde encore un souvenir précis de cette station. Il se souvient du
plafond, sale, d’où pendaient les toiles d’araignée, constellées de gouttelettes de condensation
et de poussière, des néons gris tachés qui dispensaient leur faible lueur en grésillant. Sur les
murs se répandaient des coulures noirâtres provenant des canalisations et le sol était jonché de
détritus, de débris de toutes sortes. L’air y était plus frais, plus humide, et pourtant les odeurs
lointaines de la ville y étaient encore perceptibles.
S’il se souvient si bien de cette station et de ses homologues partout ailleurs, c’est
bien parce qu’en ce lieu d’apparence si banale, se cachait une porte s’ouvrant sur un autre
monde. Un monde unique, plein de ressources, celui de l’attente. Oui l’attente, mais pas
l’attente inquiétante d’un événement attendu ou redouté qui tarde à se produire ; pas l’attente
insupportable, mêlée d’impatience, d’un être cher qui se fait attendre. Non, c’était sur le
monde de l’attente tranquille que ces stations ouvraient leurs portes. L’attente tranquille qui
coule tel un ruisseau, l’attente tranquille qui procure une sorte de repos. Immuable, telle une
mer qui monte et qui descend au rythme de ses marées et que toute l’impatience humaine ne
pourra arrêter. Et avec l’attente venait l’attention. Car on attendait très souvent dans les
stations, on attendait sur un quai obscur, entouré de personnes dont les traits du visage se
perdaient dans l’ombre. Et alors on prenait plaisir à suivre ces traits infinis, à observer ces
visages ridés ou jeunes, fins ou bouffis, sévères ou bienveillants. On cheminait le long d’un
sourcil, escaladait l’arrête d’un nez, explorait une forêt de cheveux, le désert d’un front, avant
de se perdre dans un regard, toujours profond et vide derrière lequel l’esprit avait souvent
déserté son poste pour partir explorer les traits d’un autre. Jamais personne ne se parlait dans
ces stations obscures, peut-être parce qu’il n’y avait rien à dire, peut-être parce que l’endroit
ne s’y prêtait pas, ou peut-être parce qu’il n’y avait rien à faire d’autre en dehors de l’attente
qui semblait être la seule activité, le principal travail, la raison d’être de tous ces gens. Ce
qu’ils attendaient ? Le saura-t-on jamais ?
Puis, au bout d’un temps d’attente plus ou moins long, un infime bruissement dans
l’air faisait comprendre aux gens que la séance touchait à sa fin. Les gens sortaient alors de
leur torpeur, se levaient et s’alignaient sur le quai. Le bruissement s’intensifiait alors, les
caténaires et les rails se mettaient à vibrer, le bruissement devenait bourdonnement et,
précédant toujours la rame, la lumière des phares ressemblant à une explosion de lumière dans
l’obscurité, illuminant soudainement le quai ténébreux et ses sombres occupants, tandis que
les toiles d’araignées pendues au plafond s’agitaient en tous sens en raison du souffle d’air et
que les myriades de gouttelettes accrochées dessus étincelaient telles des étoiles. La rame
arrivait alors, dans le fracas assourdissant de ses roues sur les rails, le grondement sourd de
ses moteurs et les hurlements stridents de ses freins. Elle parcourait d’abord la station au
ralenti, puis s’immobilisait dans un dernier crissement de roue, accompagné d’une poignée
d’étincelles.
La rame en elle-même était très vieille, taguée, usée, la peinture délavée, écaillée, les
boulons rouillés, les portes cabossées et les vitres parfois brisées. L’intérieur était éclairé
d’une lumière jaune qui filtrait au travers des vitres poussiéreuses, et les silhouettes des
passagers s’imprimaient sur ces dernières en ombre chinoise. Les portes s’ouvraient en
chuintant. Les passagers entraient, puis sortaient, tel le reflux de la marée, toujours en silence.
Puis les portes se refermaient, chuintant à nouveau, et la rame, telle une bête aux aguets,
attendait un bref instant avant de s’ébranler, puis de glisser, d’abord lentement puis en
accélérant, hors de la gare, avec le grondement sourd de ses moteurs, le fracas de ses roues, le
crissement strident de ses freins. Puis ces bruits diminuaient aussi pour devenir bruissements
puis chuchotements avant de s’éteindre tandis que les feux arrières, rouges, s’éloignaient dans
le tunnel.
Derrière la rame, la gare était encore emplie de ses reflets, de ses lueurs. Reflets qui,
petit à petit s’éteignaient pour replonger la vaste salle dans le noir. Les toiles d’araignées
reprenaient leur lente course vers le sol, tandis que démarrait le début d’une attente
renouvelée, qui s’avérerait aussi longue, tranquille, obscure que la précédente. Semblable en
tout point aux attentes passées, et sûrement aux attentes futures aussi, car rien ne peut changer
l’attente. C’est un moment imperméable au temps, secondes, minutes, heures, jours, mois,
année, siècles, vies, que nous les hommes savons si bien compter. C’est en cela que se fait
toute sa beauté.
C’est de cette attente dont il s’agit. Celle qui permet de se décharger du poids du
temps. Celle qui permet de se reposer. Et pendant qu’on regarde le train s’éloigner dans le
tunnel, que les toiles d’araignées continuent leur course vers le sol et que la dernière lueur des
phares termine de se refléter dans la grande salle de la gare, on sent et on savoure cet instant
où le temps recommence à se fondre dans le silence.
Ténèbres millénaires. Le temps parait suspendu
A peine un plic ploc régulier
Des gouttes tombent comme des secondes
Le long décompte du temps dans ces contrées reculées
Pas un souffle du vent. Pas une lumière
Mais ou somme nous ?
Dans l’obscurité du tunnel
Une, non deux lignes se distinguent faiblement
Elles sont parallèles. Jamais ne se touchent
Elles se cherchent jusqu’à l’infini
L’infini, que c’est loin. Si loin
Un souffle d’air. Les rails vibrent. Les caténaires grésillent
Au loin une lueur se distingue. Elle s’approche, apportant avec elle un assourdissant
tonnerre
Mais qu’est-ce ?
Qui vient troubler le long décompte des millénaires dans ce lieu ou le temps n’a pas
d’emprise ?
Qui vient percer la lourde chape de l’obscurité ? Qui vient soulever la poussière
accumulée depuis tant d’années ?
Le souffle d’air devient tempête. Le grondement emplit le tunnel
La pénombre quitte le silence, l’obscurité explose le temps
La poussière vole. Les ombres s’agitent
La rame passe tel un vaisseau portant le soleil
Il n’a pas le temps. Il est pressé, ne peut s’arrêter
La rame est passée. La poussière retombe sur les rails millénaires. Les ombres
reviennent. La pénombre emplit le silence et interrompt le temps.
Le plic ploc des gouttes reprend, long décompte du temps dans ces régions reculées et
inatteignables.
La rame est passée, nous n’avons pu la prendre. Les ténèbres reviennent
Les yeux redeviennent aveugles
Dans le noir des rails, à peine perceptibles, deux lignes parallèles se perdant dans
l’infini
L’infini, que c’est loin…
Le train s’arrête. Il descend. Les portes se ferment. Thomas sort de la station. Le
voyage l’a amené si loin de chez lui et pourtant il n’a pas bougé. La ville est inchangée.
Toujours sombre, grise, triste. Il se met en route, il n’y a rien d’autre à faire dans le désert à
part avancer. Le rythme de la marche rythme la vie. Le pavé des trottoirs défile. Les rues se
suivent l’une après l’autre, toutes les mêmes, toutes pareilles. Les maisons, les immeubles, ils
se ressemblent. Ils semblent se serrer, vouloir se rejoindre. La rue se referme. Ils veulent
étouffer les gens, les tuer. Le soleil ne perce pas, les nuages se superposent, ils entourent la
ville comme des rapaces, ils guettent la moindre défaillance pour attaquer. Tout est ligué
contre nous, contre l’humanité. Il accélère, marche plus vite, court. Rien. Les murs se
ressemblent, tous pareils, les nuages restent. Avancer ne sert plus, le malheur arrive, il vient
nous achever.
Personne n’échappe à son destin. Dans la ville les gens s’arrêtent, se résignent. Plus
rien ne bouge. Tous attendent, attendent. Mais il n’y a rien à attendre, la mort ne vient pas, la
vie non plus ! Le temps s’écoule, les nuages roulent. Un cri, une personne tousse. Alors on se
remet en route, plus lentement, petit à petit, encore abasourdi. Puis, les événements reprennent
leur cours, on étend son linge, les ouvriers reprennent leur travail, les fonctionnaires
retournent à leur administration, les artisans à leur atelier. Les trains reprennent leur course,
les moteurs se rallument. Comme s’il ne s’était rien passé.
Et pourtant, dans la ville morte, au fond d’une rue vide, se dresse un bâtiment. On ne
le remarque pas au premier abord, mais quand on s’y attarde, malgré la crasse, les fissures,
l’effritement, une certaine splendeur s’en dégage : une façade haute, des colonnes, des fenêtres
innombrables, majestueuses. Un palais bâti par l’homme, palais de l’apprentissage, palais de
la connaissance, palais de l’absurde.
A ses yeux ce palais parait surtout une gigantesque presse, marteau pilon, écrasant de
cruauté, implacable. Devant ce monstre d’absurde, qui n’aurait pas flanché ? Qui n’aurait pas
senti ses jambes trembler ? Sa vue se voiler, ses cheveux se hérisser ? Mais pas lui. Il
s’avance, aussi implacable que le marteau prêt à l’écraser, le briser. Comme toute cette foule
qui avance, aveugle.
Les heures passent, lentes, profondes, tristes. Dans le grand hall pavé de marbre, des
nuées humaines s’agitent en tout sens. Un bourdonnement incessant emplit l’air, un
bourdonnement qui émane des murs, du sol. La foule telle une puissante rivière dévale des
escaliers démentiels, s’engouffre dans les couloirs, tourbillonne autour des patios. Les murs,
tels les parois d’un canal, contraignent ce flux avec force, immuables. Les verrières sales,
cachent le ciel. Des plafonds oppressants. Une sonnerie retentit et tout ce monde s’agite, se
bouscule. On se rue. Les marches se dérobent sous les pas. On crie, on vacille. On voudrait
atteindre les étoiles. Qui n’a jamais rêver de toucher le ciel ?
La foule noire et silencieuse l’enveloppe, tel une gangue indestructible empêchant le
papillon de déployer ses ailes. Chaque pas est lourd, la fatigue de la journée se fait sentir.
Chaque regard est voilé, absent, et se perd dans les lointaines brumes de l’esprit.
Thomas est à la station. Le train arrive. Les gens se pressent, ils veulent rentrer chez
eux. Les tensions sont palpables, les esprits mécontents. Le siège vibre, le sol tremble au
rythme de l’avancée du train. Les lumières clignotent, blafardes, les néons grésillent. Les
ombres sont immobiles, le temps, suspendu. Au milieu, une figure à première vue banale
bouge faiblement, elle s’agite, une ombre tremblotante sous la lumière des néons. Une enfant,
petite, recroquevillée au sol, s’active à faire bouger sa poupée, à lui donner vie. Des pièces de
métal scintillent à ses genoux, ses poignets ; dans ses cheveux ébouriffés se dessinent de fines
mèches violettes. Assise sur les talons. Ses jambes disparaissent sous sont corps, comme
désarticulées. Thomas sort son carnet, il note, dessine. Le train sort du tunnel, la ville défile à
travers les fenêtres. Des câbles dansent, des nuées d’oiseaux noirs perchés sur les toits. Le
train passe un vieux pont de fer, l’eau noirâtre d’un canal glisse sous les rails. Le train
replonge dans les entrailles de la terre. A chaque station des passagers descendent, d’autres
restent. Tout s’effectue dans le plus grand silence, le bruissement des bas, le frottement des
manteaux, les bourdonnements, les chuintements et les crissements du train.
Au fur et à mesure que les jours passent le monde se ternit, comme la fleur qui se
fane. C’est la nuit, on ne voit pas d’étoiles, le ciel est d’une teinte jaune-orange. Dans les
barres d’immeubles les lumières s’allument, une à une, comme pour remplacer les étoiles
tuées par la ville. Sur la rocade, des files de lumières rouges et blanches s’étendent à perte de
vue. Les feux tricolores font jouer leurs lumières se reflétant sur l’asphalte. Les lampadaires
aux lumières orangées, bleutées ou blanches s’allument peu à peu. Des points de lumières
traversent le ciel. Les avions observent ce spectacle nocturne, les pilotes contemplent tous ces
signes que la terre fait aux cieux. On se demande alors quel est le sens de la vie, de la sienne,
de celle des autres.
Thomas rentre chez lui, éclaire sa chambre, la lumière s’échappe à travers la fenêtre de
toit, file rejoindre le ballet des lueurs dansant dans le ciel. Dans l’obscurité de la vie, il relève
du devoir de chacun de trouver ou d’apporter sa propre flamme.
Aujourd’hui je n’ai rien vu
Aujourd’hui je n’ai rien su
Je n’ai pas embrassé la vie, elle s’est enfuie devant moi
Je n’ai pas pu sentir souffler la bise
La ville avance, moi je recule
La vie s’avance, elle ne s’attarde pas, elle n’est déjà plus là
Dans le froid et les courants d’air, pas de feuilles mortes virevoltant au vent
Sous la pluie et le soleil, pas de fleurs écloses, pas de pétales moroses
Il n’y a rien, rien que du béton gris, rien que de la fumée jaune, rien que du métal
rouillé
Au dehors, il n’y a plus de chant, plus d’oiseaux
Il n’y a plus que le bruit des machines, le vacarme des moteurs, des foreuses, des
marteaux
Les rares oiseaux sont des drones, bêtes mécaniques
Les autres animaux sont des chiens, des chats errants
Mais la beauté est là, non loin. Seulement je ne sais pas où la chercher, je ne vois pas
plus loin
Le tic tac de l’horloge, régulier, me rappelle
Que chaque seconde passe. Qu’un peu de mon temps s’efface. Que je n’aurais peutêtre
pas le temps de vivre
Tristesse, ennui, ce sont les sentiments communs. Il n’y a pas de différence entre tous
ces humains. Approuvent-ils cette attente vaine ?
Pourquoi attendre alors que l’on peut marcher ?
Mais les trains passent. Hélas, rien ne se passe. Hélas, la lassitude l’emporte sur
l’exactitude
Un flocon tombe, il est noir. Il fond. De la suie dans la main
Dans la chambre noire, il n’y a rien, et dans cet espace vide les pensées se répandent,
l’emplissent. Un monde se crée et devant soi le tourbillon des pensées ressemble à
une galaxie qui tourne sur elle-même, puis laisse place à l’obscurité.
Thomas monte sur le toit observer le lever du soleil, les nuages pourpre et or, la
lumière étincelante. Puis il regarde la ville, teintée de lueurs rouge-sang, une couleur qui
convient si bien aux hommes. Et malgré la fumée noire des cheminées d’usine, les nappes de
vapeurs jaunes, les flammes verdâtres des torchères, il lui trouve une certaine beauté. Il aime
voir les ombres disparaître peu à peu, voir les tuyaux et les cheminées métalliques refléter la
lueur du levant comme autant de pierres précieuses. Son carnet est posé à côté de lui, il le
prend, lit la dernière page, celle qui raconte l’histoire de la jeune voisine étendant son linge
dès l’aurore, des enfants allant à l’école dans la rue, ou jouant dans une cour. Puis il y
consigne son aventure de la veille, celle de sa rencontre dans le train avec l’intrigante enfant
donnant vie à sa poupée.
Il rit. Au loin les barres d’immeubles réfléchissent la lumière du soleil naissant.
Thomas les dessine du bout du doigt dans la poussière qui couvre le toit. La ville est absurde,
cette absurdité fait sa beauté.
Une pièce sombre, une lampe émet une lumière blafarde. Sur une étagère, des livres,
des effets poussiéreux, un réveil dont le tic-tac incessant se perd dans le vide de la pièce. Sur
une table, encore des livres, un verre rempli d’eau claire. Un carnet y est ouvert, une plume,
de l’encre. Au sol, un vieux tapis recouvre un parquet piqué par les insectes. Sur le tapis
apparaît un pied. Des jambes. Une silhouette. Un bras. Une main. C’est une ombre, un être,
assis dans un fauteuil. Il écrit…

Hymne à mon enfance

Hymne à mon enfance
Je suis d’accord pour dire que…

Flou à l’horizon, comme en prison,
Je broie tellement du noir que ça en devient de la couleur.

Je me réveille la nuit, pour éviter le soleil,
Évider mon sommeil.

Un arc en ciel, de blanc, de gris et de noir,
Des nuances à l’image de mon désespoir.
Le noir, le soir empli mon regard.
Le soir, le noir retrouve sa place.
Aux côtés des lumières artificielles sur ces toits sombres, je ne vois que toi,
mon ombre.
Je sombre.
Aux côtés taillants des ruelles en surnombre, je m’affronte.
Sans Joconde, je remonte les escaliers, ceux qui m’ont vu tombés, ceux qui
m’ont vus glisser au coeur des décombres.
Je me morfonds de notre rencontre, toi la lumière féconde.
Toi, la petite blonde.

Je me réveille la nuit, pour éviter le soleil,
Évider mon sommeil.
Tout est noir, mais je garde espoir.

Car dans l’obscurité, brille une lueur,
Celle de l’espoir, notre plus grande arme.

Sans larmes, je me souviens de ces jours d’enfance,
Où tout semblait possible, où rien n’était impossible.
Ces moments de liberté, ces instants de joie,
Où tout était beau, où tout était bon.

Et même si aujourd’hui, tout est plus sombre,
Je garde en moi cette étincelle, celle féconde.
Demain sera meilleur.

Je prends mon courage à deux mains,
Je sais que rien ne sera facile, que tout sera à conquérir,
Mais je suis prête à tout donner pour trouver le sourire.

Car l’espoir est notre plus grand allié,
Celui qui nous guide vers la lumière, dans l’obscurité.
Il est la clé de notre avenir, la promesse d’un nouveau jour,
Et avec lui, nous pouvons tout surmonter, même les plus grands tours, même
les plus mauvais jours.

Toulouse toujours, je me réveille, en enviant le soleil,
Pour narguer mon sommeil.
Être frêle, terrien sans frein.

Je garde espoir, je continue d’avancer,
Car je sais que demain, tout sera différent,
Et que je pourrai enfin vivre pleinement, comme un enfant.

Océan d’étoile

Océan de larmes. Tremblante, j’ouvre le bocal à émotions.
J’ouvre la boîte tapie dans mon coeur,
Cachée par tant de craintes, tant de peur, depuis de nombreuses générations.

Je veux quitter mon corps pour changer de décor.
Alors je songes, je fixe le plafond.
Dans cette transe, cette silencieuse danse,
J’oublie mon nom.

Je croise mon regard furtivement dans le miroir.
J’évite ma réflexion, me sens un peu à part.
Comme si des remparts invisibles cachaient de moi une part.
Je me cache de ces questions.

Soudain une échelle, qui sortit du ciel, m’invita à rejoindre Elle - curieuse nouvelle,
Qui de ses bras, ouvrit comme un miracle le toit, au-dessus de moi.

Je vis les étoiles lointaines briller - un chemin caché.
Mais mon coeur n’oublie pas, la hauteur qui de vertige m’intimida.
Elle me tendit ses mains, je la suivi, pris le chemin, de mon destin pour le moins incertain.

Elle me fit découvrir son petit coin de paix : un piano, une harpe, un nuage de rose constellé.
Un endroit de calme pour pouvoir m’y réfugier.
Une balançoire pour calmer mes pensées
Si nombreuses qu’elles forment un brouillard, qui ne laisse de place qu’à mes idées noires.

J’ai dansé apaisée, mes barrières abaissées, au son mélodieux du bonheur d’être à deux.
Elle me dit son nom, je ne su la connaître,
Elle était pleine de « et si », de rêves et de peut-êtres.
Sa présence si paisible, la beauté de son être.
La meilleure version de moi elle laissait transparaître.

Dans la pénombre de mon désespoir, elle me dit : « n’ai pas peur, ce n’est que le soir.
Les étoiles t’entourent toujours mais ne brillent que dans le noir.
Viens à la fenêtre je sais qu’il est tard, mais viens dans les ténèbres retrouver l’espoir ».

Pourtant l’obscurité m’agresse et me condamne, ma vision floutée, paralysée, je perds ma flamme.
Je reste figée, en protection. Rien ne semble illuminer mes sombres illusions.

Quand de loin je crus voir une pointe de clarté,
Et petit à petit je me suis relevée.
Proche de la fenêtre j’eus peur de tomber, par simple maladresse ou par curiosité.

Je la vis elle me dit : « Prends ton envol je t’en prie.
Vole, survole, tes peurs aujourd’hui.
Même si les fissures t’empêches de bien voir,
La beauté t’attends de l’autre côté du miroir.
Tu m’y trouveras et tu pourras briller,
Autant, même davantage que ce qu’il a été dévoilé ».

J’ai inspiré et je me suis lancée, secouée de terreur et de larmes d’anxiété.
J’eus peur de m’effondrer, m’écraser, de couler. De me noyer dans ces larmes autrefois versées.
Encore seule par le froid brûlée, abîmée – cette porte de sortie ne laissait rien présager.

Pourtant, dans le vide j’ai sauté.

et délicatement l’eau me rattrapa, m’accueillit doucement dans la chaleur de ses bras.
Dans mes émotions une fois acceptées, qu’il était agréable finalement de s’y laisser flotter.
Dans mes vagues à l’âme qui avant m’auraient emportées, j’ai compris que c’est en luttant
Dans les mouvances que je coulais. J’étais celle qui m’asphyxiait - Je me sauverai.

En rouvrant les yeux, je ne vis que mon reflet - toutes les nuances et couleurs de mon identité.

Éblouie et émue je lève le voile
Sur les millions d’astres de l’Océan d’étoiles.

Plante sauvage comestible

PERSONNAGES
Dioica.
Galanthus.
Castanea.

SCÈNE 1 - Hier
Dioica, Castanea

Une pièce dans la pénombre, Dioica seule assise dans un fauteuil, une table devant elle avec un
petit pot et une graine, une cigarette allumé dans sa main se consume toute seule.

Dioica. Plante sauvage à l’intérieur ne pousse pas… Plante sauvage domestique ne pousse
pas… Plante sauvage dans le noir, plante sauvage sans vie, sans joie… Plante sauvage ne
veut plus pousser, c’est trop dur.

Castanea arrive et reste debout devant à côté de Dioica à regarder la table.

Castanea. Il reste qu’une seule graine.
Dioica. Oui..
Castanea. Tu vas encore essayer ?
Dioica. Je sais pas.
Castanea. Il suff t pas de la regarder.
Dioica. Je sais..
Castanea. Alors ?
Dioica. Ça ne sert à rien, je n’y arrive pas.
Castanea. Comme d’habitude…
Dioica. Comme d’habitude.
Castanea. Il te faudrait peut être de l’aide ?
Dioica. Je n’en veux pas ça ne changera rien. Je n’ai plus envie.
Castanea. Bon.. Je ne dis rien.
Dioica. J’échouerais.


Castanea sort, Dioica ecrase la cigarette et pren1d la graine dans sa main.


SCÈNE 2 - Aujourd’hui

Dioica, Galanthus

Galanthus se lève au milieu du public de l’autre côté de la salle.

Galanthus. Toi.
Dioica.
Galanthus. Toi là.
Dioica. Moi ?
Galanthus. Pourquoi tu ne bouge pas ?
Dioica. Boh je sais pas ou aller.
Galanthus. Il faut sortir !

Galanthus s’approche pour aller chercher Dioica.

Dioica. Je..
Galanthus. On va aller au Soleil.
Dioica. Je ne veux plus.
Galanthus. Comment ?
Dioica. Je ne peux plus. Si j’essaye encore une fois c’est fini.
Galanthus. Qu’est ce qu’il se passera si tu reste là ?
Dioica. Je sais pas.
Galanthus. Longtemps..
Dioica. Encore.
Galanthus. Qu’est ce que tu ferais ?
Dioica. Juste.. je vivrais ?
Galanthus. Tu vis vraiment ? Là ?

Galanthus prend Dioica pour la mettre debout.

Dioica. À quoi bon.
Galanthus. Rester dans le noir ?
Dioica. J’ai peur du soleil.
Galanthus. De quoi à tu peur ?
Dioica. Je sais pas.
Galanthus. Pourtant le soleil…
Dioica. De ne pas le faire.
Galanthus. Ça ne dépend que de toi.
Dioica. Tu ne comprends pas.
Galanthus. Effectivement.


Galanthus s’éloigne doucement, tristement.

Dioica. Une claque de plus je supporterais pas.
Galanthus. Qui te dis que tu vas prendre une claque ?
Dioica. Ça se passe toujours comme ça. Je n’en vaux pas le coup, regarde autour de moi. Je suis toujours ici.
Galanthus. Tu avanceras.
Dioica. Et si je ne veux pas ?
Galanthus. Alors construit !
Dioica. Ici ?
Galanthus. Qu’as tu dans la main ?
Dioica. J’hésite.
Galanthus. Une graine !
Dioica. J’aimerais…
Galanthus. C’est parfait !
Dioica. Je ne sais pas.
Galanthus. Faire germer une graine ?
Dioica. Si je l’a plante et que je l’abandonne ?
Galanthus. Alors elle ne poussera pas.
Dioica. C’est du gâchis.
Galanthus. Mais si tu l’a plante et que tu ne l’abandonne pas ?
Dioica. Je n’y arriverais pas.
Galanthus. Seul non.
Dioica. Je le savais.
Galanthus. Tu n’es pas seul.
Dioica. C’est énorme.
Galanthus. Regarde moins grand !
Dioica. Je n’ai pas le temps.
Galanthus. Petit à petit !
Dioica. Je ne sais pas faire.
Galanthus. Tu apprendras !
Dioica. Je..
Galanthus. Essaye.

Galanthus part, Dioica reste seule et regarde la graine dans sa main. Elle met la graine dans le pot et sort. Les 3 personnages un à un passent avec des arrosoirs pour s’occuper de la plante et le pot est échangé contre un pot avec une plante dedans.

SCÈNE 3 - Demain
Dioica, Castanea

Dioica. Oh !
Castanea. Oui ?
Dioica. Ça a poussé !
Castanea. Oh !
Dioica. Oui !
Castanea. Ce soir on pourra y goûter !
Dioica. Gouter..
Castanea. Ce que tu as fais !
Dioica. J’ai hâte !
Castanea. Gouteur..
Dioica. C’est beau.
Castanea. Quand tu étais petit tu voulais faire goûteur.
Dioica. Je voulais goûter ?
Castanea. Tu pensais qu’il y avait un métier où tu goutais des choses pour savoir si c’était bon.
Dioica. J’aime bien goûter des trucs c’est vrai.
Castanea. Tu goutais à tout.
Dioica. Je voulais tout tenter !
Castanea. Gouter la vie.
Dioica. Croquer la vie, manger la vie.
Castanea. Tu aimais les trucs bons.
Dioica. C’est bon la vie.

Oh Mamie si tu savais tout le mal qu’ici est fait.

Toi qui n’as voyagé qu’une fois, d’Espagne à Tolosa,
Je peux te dire que j’ai découvert que partout la jeunesse est soûle des anciens dictats.
Suivant t’es pas de soixante-huitards, je me soulève à mon tour.
Pour nos idéaux, il n’est jamais trop tard.
Tu t’imagines, devoir continuer à servir à manger dans des centres aérés, jusqu’à un âge indéterminé, pour
satisfaire les caprices de ceux déconnectés de la pénibilité ?
Cette phrase absurde et trop longue m’a essoufflé.

Je te l’avoue, moi aussi en ce moment, j’ai la langue un peu âcre.
Déliée, elle se révolte pour délivrer des messages,
Qui je l’espère réveillerons face aux massacres
Nerveusement, je passe entre mes doigts les perles de nacre que tu m’avais offertes, car j’avais été sage.
Je me souviens qu’enfant, tu m’avais appris à différencier les vrais des fausses.
Comme la vérité, les vrais fonds grincé les dents.
C’est étrange maintenant que je suis grande, c’est la fausseté qui fait grincer les miennes.
Je ne sais pas si les danseurs de Stravinsky danseront au prochain printemps.
Les informations anxiogènes, s’accumulant dans ma boîte crânienne.
Me rendent malade, j’aimerai, pour me reposer, retourner dans tes bras juste un instant.

Une petite fille en pleurs dans une ville en pluie ?
Ce n’est pas Paris, mais le même tableau décrit.
J’ai de la flotte plein les yeux, je me noie dans l’incompris.
Parce que je ne rêve plus amour absolu, éternel,
Mais d’un monde fraternel où il serait universel.

De la jeunesse, pourtant, l’espoir jailli.
Pour éclairer les esprits, il n’y a pas d’âge.
La lumière transparaît même du plus sombre des Soulage.
Je remercie cette Terre, qui t’a accueilli et qui m’a donné vie.

La seule promesse que je te ferais, mamie,
C’est de rester fidèle à ce que tu m’as appris.
Je sais que l’avenir sera plus coloré qu’un Moretti.
Je ferais tout pour qu’il reste agréable pour tes arrière-petits-fils.
En attendant, repose-toi, je tisse le fils, le cochon est dans le maïs.

210 × 297 mm

Artiste du soir, Artiste du noir,
La main sur la toile, la mains dans l’encrier
Se noyant sous du papier buvard
Saoul d’écriture pour ne plus s’ennuyer

Entre la débâcle et la fureur : les yeux
se ferment, l’esprit sans lumière suffoque
place à la chair se mêlant à l’heureuse
viscosité qui gicle et se tord tel le choc

des balles filant droit. Il faut leur faire voir
nous ne sommes pas des êtres de savoir
Mais lorsque dans la nuit nous nous oublions
et laissons la main dessiné pour les millions

de mort, nous avons découvert que l’idée
s’était essoufflée. Aujourd’hui dans vos têtes
la couleur règne en maître mais demain
quand les étreintes se seront éteintes
vous toucherez du bout des lèvres l’avenir
incertain.

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